Ce matin, je me réveille fatiguée. Presque vaseuse. Mais je n’arrive pas à me rendormir. Le bout de mes doigts picote. Mon cerveau surchauffe de pensées… Je suis tourmentée. Consternée. J’ai besoin d’écrire. J’ai besoin d’écrire sur ce que j’ai vu, vécu, ressenti mardi soir.
Strasbourg. Fin décembre. Il pleut, l’air est glacial – pas de doute, l’hiver est à son gré. Une fois mes vêtements les plus chauds enfilés, je rejoins l’équipe d’Action Froid boulevard d’Anvers. J’y rencontre alors, avant le départ, des personnes extraordinaires. Qui viennent d’horizons différents, mais qui ont pourtant tous un même but ce soir : venir en aide aux plus démunis. Partager un moment avec eux, afin de leur faire oublier un instant le froid, la faim et la solitude. Mais surtout, les encourager à ne pas perdre espoir. L’espoir - sentiment que j’ai le plus perçu, éprouvé, apprécié au sein de, ce que je jugerai, cette grande famille.
18:30. Chargement des voitures. Des thermos de boissons chaudes, des cagettes de nourriture, des sacs de vêtements et de couvertures passent entre mes bras, défilent sous mes yeux. Début de maraude, direction Esplanade. Premier rendez-vous, première distribution. Je fais notamment la connaissance de Tom, dont l’unique confort se résume à des cartons et plusieurs sacs de couchage. Il a l’air d’apprécier l’humour et ne manque pas de déclarer à la responsable qu’il rêverait d’avoir des menottes pour s’attacher à elle et ne plus jamais en être séparé.
19:30, plus de temps à perdre. Direction maintenant la gare. J’aperçois, choquée, qu’ici, des personnes – beaucoup de personnes, nous attendent déjà. A peine installés, une femme, deux, trois, des familles avec des bébés frigorifiés en poussette, des hommes souriants et taquins, des personnes en fauteuils roulants, des jeunes, passent tour à tour récupérer un verre de soupe, quelques morceaux de pain, un dessert et un café bien chaud. Combien sont-ils ? Quand est-ce que ça va s’arrêter ? Les réserves diminuent rapidement et on s’inquiète de ne plus avoir assez pour les prochains qui arriveraient. Et puis, l’afflux finit par cesser. Il ne reste alors plus que les habitués, ces personnes avec lesquelles des liens se sont tissés, de belles amitiés sont nées.
21:30, les derniers partent. Certains devront se lever tôt demain matin, d’autres doivent encore trouver un endroit où dormir… Mais ils ne manquent surtout pas de nous remercier. Et de nous rappeler « à mardi prochain ! ».
Entre échanges sérieux, conversations intimes, rires, remerciements sincères. Hier soir, j’ai fait face à une dure réalité. J’ai ouvert les yeux – parce qu’on a beau se faire une idée, c’est qu’une fois qu’on le vit vraiment, qu’on est au plus près de la misère, qu’on se rend compte. Qu’on se rend compte que ces personnes ont besoin de nous. Mais surtout que vivre dans la rue, dans de telles conditions, ne devrait pas exister. Plus à notre époque.
Cette expérience ? Je vous invite tous à la vivre, au moins une fois. A sauter le pas. Prendre votre courage à deux mains. Comme moi. Comme eux. Parce qu’il n’y a rien de plus prégnant que d'agir. Et réagir.
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